Rappelle-toi Barbara, volet 1

Rappelle-toi Barbara est un travail qui trouve son origine dans le célèbre poème de Jacques Prévert du même nom, paru en 1946. Ma grand- mère nommée Barbara, vivant à Brest à cette époque, racontait qu’elle aurait été l’inspiration du poète. J’ai choisi d’approcher douze femmes ayant vécu la Seconde Guerre mondiale. J’ai demandé à chacune d’elle de raconter un souvenir personnel et d’être photographiée dans son lieu de vie actuel afin d’interroger son rapport à elle-même, au lieu et au temps. Les rencontres ont été provoquées via des annonces dans divers endroits à Lille et à Paris.

Remember Barbara is a project that has its origins in the famous poem of the same name published in 1946 by Jacques Prévert. My grandmother, named Barbara and living in Brest during this time, recalled that she was poet’s inspiration. I decided to speak with twelve women who lived through the Second World War. I asked each one to reveal a personal recollection and to be photographed in their current living space in order to examine the relationship between survivor, home and period of time. The meetings were organised after advertising across various locations in Lille and Paris.

Jacqueline Jabalot, née à Paris en 1922.
Dans la résistance, moi, j’étais courrier. On allait de ville en ville. Il ne fallait jamais se connaître entre nous. Les Allemands ont mis jusqu’en fin 42 à se rendre compte que les femmes pouvaient en faire partie. Je me rappelle toujours d’une fois où l’on avait besoin de balles et de grenades et il fallait aller de l’autre côté de l’Isère en chercher. Alors je suis partie avec deux garçons qui m’ont demandé de prendre mes sacoches de vélo. Sur le pont de l’Isère pour revenir, les Allemands étaient là. Alors, j’ai fait un grand sourire, pédalant doucement. Ils me disaient «Schön, schön», c’est tout ce qu’ils savaient dire «Schön». Moi j’ai dit «Salade, manger». Et puis ils ont ouvert mes sacoches, pris la salade, regardé en dessous – il y avait une autre salade – et ils m’ont laissée partir. Les deux garçons, eux, arrivaient derrière. Les Allemands se sont rués sur eux, ils ont tout fichu par terre. Ils avaient un poulet, des légumes et un morceau de fromage. C’est moi qui avais les armes.

Jacqueline Jabalot, born in Paris in 1922.

During the French resistance, I worked as a courier. We used to go from town to town. It was never necessary for us to know each other. It took the Germans until the end of ’42 to realise that women could also be part of it. I still remember a time when we required bullets and grenades, and so we had to cross the river Isère in search of them. So I left with two boys who ask if they could carry my satchels on their cycles. The Germans were waiting on the bridge for us to return. Pedalling slowly, I broke into a wide grin. They called out to me. “Schön, schön” – it was all that they knew to say – “Schön”.

So I replied, “Salad, to eat”. They proceeded to open my bags, take out the salad and look underneath – where they found another salad – subsequently allowing me to leave. The two boys arrived behind me. The Germans rushed upon them, blasting them into the ground. They were carrying a chicken, vegetables and a piece of cheese. It was I who had the weapons.

Jacqueline Feldmann, née à Paris en 1927.
Comme mon père était juif, mon frère et moi ne l’étions pas puisque notre mère ne l’était pas aux yeux des Allemands donc théoriquement on ne craignait rien. Par mesure de sécurité, on m’a quand même mise en pension. La pension était à Bonneuil-sur-Marne, dans la région parisienne, c’était un ancien manoir très joli. J’ai vécu une adolescence très solitaire, j’ai eu des moments très heureux parce que je lisais beaucoup de poésie, beaucoup d’histoire, j’étais romantique. On était très libres, il y avait peu de surveillants. Je prenais des livres et puis j’allais m’étendre sur l’herbe au bord de la Marne. Bien des fois, j’ai vu passer des escadrilles américaines ou anglaises au-dessus de ma tête. Alors j’étais heureuse, j’étais très heureuse puisque j’avais appris que Stalingrad était tombée, que les Allemands étaient plus ou moins en retraite et que la guerre finirait un jour. Enfin c’est arrivé. Quand l’heure de la Libération a sonné, il y avait des cloches partout, des proclamations… Moi j’étais enfermée dans cette pension. Les enfants qui étaient là ont commencé à être évacués, les parents sont venus les chercher, les organisations s’en sont occupées, et personne ne s’occupait de moi. On ne venait pas me chercher et je n’avais de nouvelles de personne. J’avais appris qu’en 1942, ma grand-mère avait été arrêtée et déportée à Auschwitz. Mon père qui avait survécu jusqu’en janvier 1944 a été arrêté, mis à Drancy et déporté en février 44. Je n’avais plus de famille puisque ma mère était morte quand j’étais jeune. Mon oncle et ma tante qui m’avaient en partie élevée étaient encore en zone libre et y restaient, donc ne se manifestaient pas. (…)

Jacqueline Feldmann, born in Paris in 1927.

Though my father was Jewish, my brother and I were not, given that neither was our mother in the eyes of the Germans, and so in theory we feared nothing. In the interests of safety, I was in any case sent to boarding school. The school itself was a quaint former manor in Bonneuil-sur-Marne, within the Parisian region. I had a very solitary adolescence, with incredibly happy times spent reading much poetry and about a great deal of history – I was quite fanciful.

We were very free, as there were few supervisors. I took out books and read them spread out on the grassy banks of the river Marne. Oftentimes, I saw American or English squadrons passing high above my head. I was happy – so very happy – since I had learned that Stalingrad had fallen, that the Germans were more or less retreating, and that the war wound end one day. Finally, that day came. When the clock struck Freedom, there was the sound of bells ringing everywhere, proclamations… I was ill at the time, and confined within the school’s premises. They started to evacuate the children from there, as their parents came looking for them. The establishment was busy with life, but nobody was there for me. Nobody came to collect me, nor did I have news of anyone I knew. (…)

Nicole Chambry, née à la Roche-sur-Yon en 1913.
J’étais à Ploufragan, à cinq kilomètres de Saint-Brieuc dans une grande maison où nous étions beaucoup d’apprenties religieuses françaises. Et puis voilà que pendant la guerre, il a fallu loger des Allemands. Alors on a dû couper la maison en deux. Il y avait un escalier à chaque bout des couloirs, il y avait le côté allemand et le côté des sœurs. On a fait bon ménage. Les autorités prenaient leurs repas à la maison, ils étaient en relation cordiale avec les supérieures. Au quotidien, on les voyait très peu car ils étaient souvent en réunion. Ils faisaient leur travail et nous on faisait le nôtre. On avait des temps d’étude, on faisait des promenades car il y avait un grand parc, on s’occupait plus ou moins d’une ferme à côté. Notre vie d’apprenties religieuses continuait. On n’était plus tout à fait chez nous, il fallait un peu se resserrer, se gêner mais enfin c’était comme ça. Quand on se rencontrait, on se saluait. Ils ont été corrects, ils n’ont pas cherché à entrer dans la partie pour les sœurs, pas plus que nous n’avons cherché à entrer chez eux, ça ne nous intéressait pas tellement. Ils parlaient un peu le français, un français interprété. Un jour ils voulaient manger de la viande et ils ont demandé à voir la supérieure. Elle est arrivée et ils lui ont dit «Madame, Nous, Cochon?» On a ri. Ils sont restés là quelques mois.

Nicole Chambry, born in La Roche-sur-Yon in 1913.

I was in Ploufragan, five kilometres from Saint-Brieuc in a large house where with many other French trainee nuns. And then during the war, we had to take shelter from the Germans. So we had to split the house in two. There was a staircase at either end of the corridor, there was the German side and the side for the sisters. We made a good couple. The seniors took their meals home, as they had an amicable relationship with the managers. We saw them infrequently during the day, as they were often in meetings. They were doing their job and we ours. We had a time to study, and to take walks in the large park nearby which was more or less the size of a farm. Our life as religious apprentices continued as such. We were no longer exactly living in our own home – we needed to tighten up a bit, and get in each other’s way, but ultimately that was how it was. We greeted each other upon meeting. They behaved appropriately – they never sought to enter through the sister’s side – no more than we would seek to enter through theirs. That didn’t interest us as such. They would speak a little bit of French – enough to communicate. One day they wanted to eat the meat and asked to see the manager. She arrived and they said to her. “Madam, Us, Pig?” And so we laughed. They stayed there for a few months.

Michelle Marsault, née à Thouars en 1928.
J’avais quinze ans et demi et j’habitais avec mes parents dans les Deux-Sèvres. Ce dont je me rappelle c’est les jeunes femmes qui ont été tondues parce qu’elles fréquentaient des Allemands. Ils avaient fait ça sur la place pour qu’il y ait le plus de gens possible. C’était un lieu de passage, je l’ai vu mais je ne suis pas restée. Ça m’a dégoûtée, j’étais très mal à l’aise. Les personnes qui faisaient ça, c’était des gens qui se sont probablement institués les gardiens purs de la France. C’est comme ça que je l’ai ressenti. On savait que certaines jeunes femmes fréquentaient des Allemands, il y en a probablement qui aimaient ces gars. Ça m’avait fait bien réfléchir. Ça m’avait fait réfléchir par rapport à l’amour. Quand on aime des gens, on ne sait pas forcément pourquoi. Et on n’analyse pas. Et puis aussi par rapport aux comportements des gens qui retournent leur veste très facilement quand ça leur est utile.

Michelle Marsault, born in Thouars in 1928.

I was fifteen and a half years old and was living with my parents in Deux-Sèvres. Which reminds me that the young women wore close-cropped hair, as they used to visit the Germans.

They did so on the square, so as to gather as many people as possible. It was like a resting place – a halfway house – I had seen it but never stayed. It disgusted me – I felt very uncomfortable there. The people who did so were probably established as the purest guardians of France.

That’s how I felt. We knew that some young women visited the Germans – there were those who probably loved those guys. This spurred me into reflecting deeply. Into reflecting deeply about love. When you love someone, you don’t necessarily know why. And you don’t over-analyse it. This applies above all to the fickle behaviour of those people who very easily change sides whenever it suits them.

Andrée de Goedt, née à Forest-Montiers en 1916.
Je me suis mariée en 38. Mon mari travaillait à la Compagnie de Fives- Lille comme dessinateur. Il avait été mobilisé puis fait prisonnier en Prusse orientale. Toutes les semaines, la direction de l’usine faisait des demandes pour ravoir leurs prisonniers. Il y avait 742 prisonniers dans cette usine. Alors ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient. Personne ne savait combien de temps ça durerait.
De temps en temps, et ça n’arrivait pas souvent, j’avais une lettre qui passait. Il avait beau écrire toutes les semaines, ça n’arrivait pas pour autant toutes les semaines. J’ai eu quand même quelques lettres pendant trois ans, ce qui consolait quand même un peu parce qu’on savait tout de même qu’ils étaient en bonne santé – c’était peut-être beaucoup dire mais en campagne, ils ont toujours eu des pommes de terre, et comme il y avait beaucoup de bois et qu’ils avaient avec eux un boucher, ils essayaient d’attraper des cerfs ou des animaux des bois. Ils essayaient de se faire un petit repas.
Ici, on vivait du mieux qu’on pouvait. Ce n’était pas facile tous les jours, il fallait aller de l’avant si on voulait être présentes quand ils rentreraient.On espérait toujours que c’était pour demain, il fallait qu’on se tienne. La Compagnie de Fives-Lille a embauché des femmes de prisonniers, ils avaient été obligés par le gouvernement d’embaucher d’abord ces femmes-là si elles voulaient travailler en remplacement de leur mari, si on peut dire. C’est ce qui c’est passé pour moi. J’ai travaillé là. Je travaillais parce que j’étais obligée de penser à quelque chose et cela me permettait aussi de manger à peu près convenablement. (…)

Andrée de Goedt, born in Forest-Montiers in 1916.

I got married in 38. My husband worked at the Compagnie de Fives-Lille as a draughtsman.

He had been enlisted, then taken prisoner in East Prussia. Factory management sent requests every week for their employees to be released from prison. That particular plant contained 742 prisoners. They were doing everything they could. Nobody had any idea of how long this would go on for.

From time to time – and it would not often arrive – I would receive a letter which was sent through. No matter what was written every week, it would not arrive for all that every week. I received all the same a few letters during those three years, which comforted me slightly, because we knew all the same that they were in good health – it was perhaps a lot to say, but in the countryside they always had potatoes, and as there was large areas of forest and as they had a butcher, they tried to hunt deer or other animals within the woods. They would try to scrape together a small meal.

Here, we lived the best we could manage. It was not easy everyday – we had to forge ahead if we wanted to be around when they returned. (…)

Thérèse Muller, née à Heimsprunn en 1929.
Nous habitions l’Alsace, mon père était Alsacien, ma mère était une Française de l’intérieur comme on disait à l’époque. En 39, la radio avait dit que les familles nombreuses quittent l’Alsace par précaution parce que les Allemands arrivaient. Papa est resté. Maman avec ses sept enfants est partie. On nous a mises en pension parce que Maman avait une petite maison de deux chambres et comme on était sept, il fallait bien nous mettre en pension quelque part. Les cinq filles ensemble. On était contentes d’être ensemble, ça nous tenait. Parce qu’on était Alsaciennes et chaque fois qu’il y avait quelque chose qui se passait dans la pension, on accusait une fille Muller. On se défendait. On ne se laissait pas faire. On avait toujours peur qu’on dise que l’on était des Alsaciennes car il y avait la Gestapo pas loin. Un jour, on était à l’étude à la fin de la journée et la directrice est venue avec un monsieur. L’homme a demandé s’il y avait des Alsaciens dans la classe. Il y a une fille qui a dit « oui. » La directrice l’a fait taire parce qu’il allait nous emmener. On a su après que c’étaient des espions qui faisaient du tort aux Alsaciens. Du coup, on a quitté la pension. On avait une tante qui habitait Riom qui nous a prises chez elle et on n’est plus allées à l’école à ce moment là. On a changé notre nom. On s’appelait Muller, alors on s’est appelées du nom de notre grand-mère maternelle qui s’appelait Madame Carré. On s’est appelées Carré pendant deux mois.

Thérèse Muller, born in Heimsprunn in 1929.

We lived in Alsace – my father was Alsatian and my mother was French, from inner France, as we called it during that era. In ‘39, the radio had said that numerous families were leaving Alsace as a precaution, because the Germans were arriving. Dad stayed. Mum left with her seven children. We were sent to a boarding school because Mum had a small house with only two bedrooms and as there were seven of us, it we needed to go to boarding school anywhere possible.

The five girls stayed together. We were happy to be together – that made sense. Due to the fact that we were Alsatians, whenever an incident arose within the school, a Muller girl was blamed. We stood up for ourselves. We would not be pushed around. We were always afraid that we would be revealed as Alsatians, due the Gestapo always remaining close at hand. One day, we were studying at the end of the school day when the headmistress arrived with an unknown gentleman. The man asked whether there were any Alsatians in our class. One girl replied “yes”. The headmistress silenced her as she was about to escort us away. It was later revealed that he was a spy who had come with the intention of harming Alsatians. We left the boarding school as a result. We had an aunt living in Riom who came to collect us and take us there – we never returned to the school after that. We changed our surname from Muller, thenceforth taking the name of our maternal grandmother who was called Madame Carré. We continued to use the name Carré for two more months.

Marie-Thérèse Kieffer, née à Berlaimont en 1920.
Nous nous sommes mariés le 10 avril 1944, juste en pleine guerre. Nous n’étions pas loin l’un de l’autre, on avait envie de vivre ensemble. On ne pouvait pas vivre ensemble avant d’être mariés et puis on ne voulait pas avoir de relation intime avant le mariage, donc nous nous sommes mariés le 10 avril. Et à la sortie de la messe de mariage, il y avait les forteresses volantes qui passaient. C’était des gros avions anglais, américains et français, qui passaient pour aller bombarder l’Allemagne. Ils bombardaient au napalm. L’alerte est passée et puis le soir on s’est sauvés à onze heures du soir. Arrivés dans notre chambre, une alerte a retenti. On est descendus à l’abri. Les bombardements ont duré toute la nuit. Ils bombardaient un dépôt de chemin de fer à cinq ou six kilomètres de chez nous. Alors nous avons passé notre nuit de noces dans l’abri. Et quand c’était fini, nous étions tellement fatigués qu’on s’est effondrés sur le lit, et ça s’est passé après.

Marie-Thérèse Kieffer, born in Berlaimont in 1920.

We got married on the 10th of April 1944, right in the middle of the war. We weren’t far from each other and wanted to live together. We could not live together before getting married, nor did we want to be intimate with each other before the wedding, so we tied the knot on the 10th of April. B-17 Flying Fortresses passed by overhead as we emerged from the chapel.

Large British, American and French aircraft flew past, on their way to drop bombs over Germany. With napalm. The alarm sounded and so we fled at eleven in the night. A siren rang out as we arrived at our room. We went down into the shelter.

The bombings continued throughout the night.  They were bombing a railroad warehouse about five or six kilometres from our house. So we spent our wedding night in the shelter. And when it finished, we were so tired that collapsed onto the bed, and only managed to consummate our nuptials at a later date.

Françoise R., née à Paris en 1924.
Au moment où la guerre a été déclarée en 39, les Allemands avaient une telle réputation que tout le monde avait décidé de quitter Paris pour se réfugier à la campagne. On disait que les Allemands étaient des sauvages, qu’ils violaient beaucoup les filles. Et les parents avec leurs neuf enfants avaient peur, c’est pour ça qu’on est partis. Mes parents ont décidé de passer une année complète à la Gastine, dans le Perche, accompagnés d’une partie de la famille, c’est à dire des cousins germains et issus de germains. Nous sommes donc arrivés là- bas assez nombreux avec une institutrice qui était chargée de s’occuper de toutes les classes, de la septième à la troisième. Elle nous prenait toute la journée trois par trois selon les âges et les classes. Après avoir passé une première année là-bas, les Allemands commençaient à circuler dans toute la France et nous avions eu peur de l’invasion allemande. Et mes parents ont décidé de quitter la Gastine et d’aller vers le Sud. Nous sommes tous partis.
Quand nous sommes revenus à Paris, nous avons repris des classes normales et nous nous sommes aperçus que les Allemands nous avaient donné des cartes avec des points et on disposait d’un certain nombre de points pour le ravitaillement. Ma mère avait onze personnes à nourrir par jour, matin et soir et pas de personnel évidemment. Nous avions quand même la chance d’avoir la Gastine qui était à cent cinquante kilomètres de Paris et mon frère Xavier allait régulièrement à bicyclette pour revenir avec des mottes de beurre, des œufs, tout ce que pouvait contenir son chargement, en tous les cas de graisse. (…)

Françoise R., born in Paris in 1924.

When the war was declared in ‘39, the Germans had such a reputation that everyone decided to leave Paris and take refuge in the countryside. It was said that the Germans were savages, that they raped many girls. And our parents with their nine children were afraid – that’s why they left. My parents decided to spend an entire year in the Gastines, Perche, accompanied by part of the family – first and second cousins. A large number of us therefore arrived there with a schoolteacher who was responsible for all lessons, from Years Six to Ten. She would spend the whole day teaching us in groups of three according to age group. After having spent the first year there, the Germans began to circulate throughout the whole of France. We had been afraid of the threat of German invasion. So my parents decided to leave the Gastines and travel towards the south. We all left.

Lise Trèves, née à Paris en 1925.
C’était en 43 ou 44. À l’époque, nous habitions dans un hôtel à Riom. J’étais à l’université à Clermont, je prenais le train, ou bien je faisais de l’autostop pour aller suivre mes cours à la faculté. Je préparais une licence d’anglais à l’époque. Les Allemands ont envahi l’université. Ils nous ont réunis dans la cour, c’était en décembre, il y avait de la neige. On est restés les bras en l’air, là, debout, avec les mitrailleuses pointées sur nous, pendant des heures. J’ai vu un jeune étudiant qui a essayé de fuir, ils l’ont abattu ; un professeur qui a baissé les bras trop vite, ils l’ont abattu. Alors on est passés un à un devant eux. Moi, j’ai préféré passer devant un militaire plutôt qu’un civil parce que les civils c’était la Gestapo, c’était pire. Je suis passée sans problème, je n’avais pas changé de nom, mais à partir du moment où il n’y avait pas le tampon juif sur ma carte d’identité, ils ne pouvaient pas savoir. Ils m’ont posé des questions, j’ai même plaisanté avec eux. Je suis passée mais j’ai vu ma meilleure amie qui s’appelait Lévy et qui était juive, qui a été déportée à Auschwitz, je l’ai vue embarquer. Et puis, il y avait un Français, fils d’un intendant militaire – que j’aurais dû rencontrer la semaine suivante pour entrer dans un maquis, mais heureusement, je ne l’ai pas rencontré – qui était là avec les gens de la Gestapo et il disait à un étudiant : «Elle est fausse ta carte d’identité.» «Non elle est vraie.» «Raconte pas d’histoires, c’est moi qui te l’ai procurée. » Non seulement il a aidé à arrêter des gens mais en plus il a aidé à torturer. Je l’ai échappé belle. Ça a été comme ça de dix heures du matin à cinq heures du soir. (…)

Lise Trèves, born in Paris in 1925.

It happened during ‘43 or ‘44. At that time, we were living in a hotel in Riom. I was at the University of Clermont – I was on the train, or perhaps I was hitch-hiking, in order to go and continue my undergraduate education there. I was studying for a degree in English, The Germans invaded the university. They assembled us in the courtyard – it was December, and it was snowing. We raised our arms in the air, standing there with machine guns pointed at us for hours. I saw a young student who tried to escape; they shot him dead. A professor who lowered his arms too quickly; they shot him dead. We filtered past them, one by one. I preferred to walk in front of a soldier rather than a civilian, because the civilians were members of the Gestapo – they were worse. I passed by without any issues – I hadn’t changed my name – but from the moment that they found no Jewish stamp on my identity card, they did not wish to know any more. They asked me questions, to which I replied pleasantly. I passed by, but I saw my best friend, who was Jewish and whose surname was Lévy, being deported to Auschwitz. I saw her go aboard. (…)

Hélène Menet, née au Cateau-Cambrésis en 1931.
Mon père travaillait à l’usine Seydoux, la maison faisait partie de la cité et les ouvriers avaient une maison rattachée à l’usine. Maman je ne l’ai pas connue, je n’avais que trois mois quand elle est morte. Alors Papa me disait : «Tu vas rester à la maison et tu feras ce que tu pourras.» Je nettoyais la cuisine, après j’allais faire les lits, un peu de ménage. Ensuite il fallait aller chercher de l’herbe pour les lapins. J’aimais bien tirer l’herbe. De temps en temps, j’allais aussi jardiner. Mon père m’interdisait d’aller dans les champs toute seule. C’était quelquefois dangereux à cause des sales bonhommes qui se promenaient dans les champs. Il avait toujours peur qu’on rencontre quelqu’un. Quand on allait chez le meunier, on y allait toujours en bande. Comme ça il n’y avait pas de problèmes. J’allais à l’école en fonction du travail qu’il y avait à faire à la maison ; quand il fallait coudre les chaussettes, c’était pas après la classe que je pouvais me permettre de faire ça, alors je n’y allais pas. Je ne manquais pas toute la semaine mais parfois une ou deux journées. L’institutrice disait que mon papa allait avoir des ennuis parce que si l’inspecteur venait, elle ne savait pas quoi dire. Si bien qu’elle a dit qu’elle ne marquerait pas ma présence tant que je ne serais pas là, au cas où l’inspecteur viendrait, mais elle la marquerait le soir après cinq heures, comme ça mon père n’aurait pas de problèmes. Je lui ai dit qu’il pourrait remercier l’institutrice, alors il est allé couper des roses, parce qu’on avait un beau rosier et je suis allée lui porter en lui disant que c’était pour la remercier. (…)

Hélène Menet, born in Cateau-Cambrésis in 1931.

My father worked the Seydoux factory – our home formed part of the industrial estate and the workers had houses connected to the factory. I never knew my mother – she died when I was only three months old. So Dad told me: “You´ll stay in the house and you’ll do whatever you can.” I´d clean the kitchen, then I´d make the beds and do some housework. Then to go and collect grass for the rabbits. I liked pull the grass. From time to time, I’d also do some gardening.

My father forbade me from going into the fields by myself – it was sometimes dangerous due to the unruly characters who would walk around there. He was always afraid that we’d meet someone. Whenever we went to the miller’s house, we’d always go in a group. As such, we never had any issues. Going to school would be dependent on my work schedule at home; when I needed to mend socks, it would take priority over lessons, so I wouldn’t go. I didn’t usually miss the whole week, but sometimes would skip one or two days. (…)

Jeannine Rouland, née à Courbevoie en 1926.
Après l’exode, on est revenus à Lille. Ma mère a d’abord habité rue Doudain où il y avait une usine avec des grandes caves et quand il y avait un bombardement, on descendait dans les caves. Quelquefois, descendaient aussi les Allemands. On n’osait rien dire. Parfois il y avait trois, quatre alertes dans la journée, parfois il n’y avait pas d’alerte. On allait le jour dans l’usine et quand il y avait des bombardements la nuit, on se servait de la cathédrale. Les fondations sont très vieilles. On prenait ses affaires, sa couverture sur son dos et ma mère nous emmenait avec ma grand-mère. Quand c’était terminé, on repartait.

Jeannine Rouland, born Courbevoie in 1926.

After the exodus, we returned to Lille. My mother initially lived in Rue Doudain, where there was a factory with large cellars, where we sheltered ourselves during bombing raids. Sometimes, the Germans came down with us. We didn’t dare say anything. Sometimes there were three or four raids during the day, sometimes none. By day, we’d go to the factory and when there were raids during the night, we used the cathedral. The foundations are very old. We took our belongings, our covers on our backs and my mother led us away along with my grandmother. Once it was all over, we set out again.

Madeleine Allegret, née à Villeneuve-Saint-Georges en 1923.
Une connaissance du quartier m’avait dit qu’il y avait un besoin urgent à la mairie de quelqu’un pour le service alimentation. C’était tout à côté de chez nous, il y avait les Allemands partout, alors on ne voulait pas aller trop loin non plus. À ce moment-là j’avais dix- neuf ans, Paris était libéré. Nous, nous étions à dix-sept kilomètres de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges. On avait interdiction de plus de trois personnes réunies. Tout le monde avait fermé ses volets, les rues étaient désertes. Le chef de service de ravitaillement pour qui je travaillais m’a dit qu’il n’y avait plus d’arrivage de lait condensé pour nourrir les bébés et m’a proposé d’aller chez les pharmaciens pour voir le nombre de boîtes de lait qu’il restait dans la ville.
En allant chez le premier pharmacien, j’ai croisé un motocycliste allemand avec un side-car et tout de suite après j’ai entendu un coup de feu. Je me suis réfugiée dans une petite ruelle. Cette ruelle finissait dans le fond du jardin d’une clinique dont je connaissais la directrice. Il y avait des fils de fer barbelés, je les ai écartés et je suis passée en m’éraflant les jambes. Alors j’ai vu Suzanne, la directrice, qui a un peu soigné mes écorchures. Au bout d’une demi-heure on n’entendait plus rien, alors je me suis dit que j’allais rentrer à la maison. Je ne voulais pas y retourner, tant pis pour les boîtes de lait, c’était trop dangereux. Je suis partie et en passant par le parc, j’ai entendu des hurlements et en quelques secondes je me suis retrouvée encerclée par les Allemands mitraillettes au poing. (…)

Madeleine Allegret, born in Villeneuve-Saint-Georges in 1923.

Knowledge of the neighbourhood had informed me that there was an urgent requirement for someone to assist with the town hall’s food service. It was rather close to our house, but with there being Germans everywhere, we didn’t want to stray too far in any case. I was nineteen at the time, and Paris had been liberated. We were Villeneuve-Saint-Georges, seventeen kilometres outside Paris. It was forbidden for more than three people to meet at once. Everyone had shut their blinds – the streets were deserted. The head of the provisions service where I worked told me that there would be no further shipments of condensed milk to feed the babies, and suggested that I go amongst all of the pharmacists to check the number of milk bottles that were left in the city.(…)